J'aime pas le printemps
Publié le 20 Mars 2010
Photo Eltrum
Le printemps, c’est le programme électoral de l’année, rempli de promesses non sollicitées, jamais tenues.
C’est une saison sournoise qui arrive à reculons, un jour oui, trois jours non, avec des minauderies d’adolescent pré-pubère que des parents gonflés de fierté invitent à réciter un poème devant une assemblée qui serre les fesses rien qu’à l’idée.
- Allez, lui dit l’hiver, c’est ton tour, montre ce que tu sais faire.
-Oh, non, je n’ose, pas, minaude-t-il un matin gris et froid en dévoilant ses violettes.
-N’insistez pas ! Renchérit-il faisant grimper brutalement le mercure dans le thermomètre de la terrasse, et puis, lorsque le temps le pousse d’une main ferme, il s’empare du micro et déclame avec emphase quatre vers de mirliton, accompagné au sifflet par des piafs enamourés que les hormones aveuglent, les rendant vulnérables aux griffes de tous poils.
Le printemps, c’est un feu d’artifice dont l’organisateur aurait oublié que pour que les fusées brillent il faut un fond de nuit. Tu te lèves un matin, et paf, la belle blanche, c’est le cerisier du voisin qui a explosé en une nuit, tu n’as pas le temps d’admirer sa splendeur que déjà elle se meurt en pétale neigeux et le rosier grimpant prend le relais, à peine as-tu humé le parfum des roses que le catalpa s’en mêle, contraint d’exhiber ses fleurs mielleuses. Une fois en scène, le printemps ne lâche plus le morceau, tel une vieille idole qui retrouve son public, il en rajoute des tonnes, agitant sans pudeur ses vieux oripeaux baba cool. Il mêle sans discernement le vert acide des jeunes feuilles au jaune fluo d’un forsythia toutes épines dehors. Il aligne en bariolage enfantin le rouge de la pivoine, le bleu layette du lobelia, le jaune du souci, l’orange de l’œillet d’Inde.
Le printemps est un faux derche qui cache sa perversité sous des froufrous de liberty. Avez-vous remarqué ? il ne pleut jamais au printemps, il tombe des giboulées, des averses, des bruines. Des succédanés mièvres du bon orage d’été qui désaltère la terre profond, fait remonter les vers de terre dans une boue riche épaisse et noire, les pluies de printemps ne mouillent pas, n’abreuvent rien, elles sont inutiles dentelles aux dessous affriolants d’une jeune putain dont la mère maquerelle a refait le pucelage à l’alun.
C’est une saison mortifère. Le printemps crache dans le jardin ses milliers de papillons, dont l’éphémère beauté ne fait pas oublier qu’ils ont été d’abord et longuement des chenilles baveuses, grignoteuses, velues, visqueuses et répugnantes. Le printemps machiavélique met de l’or aux armures des minuscules guerres intestines, dressant les justes nés les uns contre les autres, petit porte-nouvelle mangé par le jeune lézard, happé par le coucou vorace dont l’oisillon tuera le reste de la couvée. Le printemps, c’est Innocent à Béziers, la Saint Barthélémy du petit peuple du jardin, c’est Néron agitant sous son nez un parfum précieux tandis que dans l’arène les combattants se déchirent pour son plaisir. Salaud de printemps !
Le renouveau de la nature ? Mon cul oui ! le printemps c’est un cerne de plus à l’aubier des platanes, une marche de plus vers leur inéluctable destin.
Alors, quand vient ce foutu printemps, j’ouvre la porte du jardin, j’installe dans son encadrement la portière marseillaise qui protège la maison des insectes zonzonnants, et bien planquée derrière le filet blanc et bleu, j’attends avec impatience que le feu de l’été vienne stériliser tout ça.